
On était bien, dans ta cuisine, Oma.
On était bien, et on ne le savait pas, alors.
Elle n'était pas design, ta cuisine, elle n'était pas intégrée.
Dans le coin, un grand poële à bois, un vieux buffet, un évier blanc piqueté de taches d'usure.
Une porte, qui donnait à l'arrière.
Souvent l'on y frappait, et entrait la Lénel d'en bas, la Gretel d'à côté, Oma Bertha d'en-haut. Elles venaient demander un oeuf, un peu de farine pour terminer la pâte.
Ou alors, elles venaient juste bavarder, raconter ce qu'elles avaient entendu dire chez Monsieur Mey, l'épicier et gazette du village.
Les soirs de décembre, on y faisait des "Bredle".
J'étais souvent conviée. Je badigeonnais les Schwowebredle de jaune d'oeuf à peine citronné, et me régalais sans le savoir d'une atmosphère qui allait disparaître avec toi, Oma.
Aujourd'hui je fais moi aussi quelques bredle, par respect de la tradition.
Aussi peut-être pour me dire que je sais faire, moi aussi, ce que tu faisais si bien.
Personne n'entre par la porte de derrière, ni par celle de devant.
J'ai des nouvelles de mes amis par téléphone, mails et textos.
Hier, j'ai vu ta cuisine, en passant dans une rue : la même vieille balance, le récipient à sel de ton vieux buffet.
C'était la déco' d'une vitrine de magasin de vêtements pour enfants.
Ta cuisine est exposée au musée, Oma.
(Photo V.B.)